Le progrès en tout est-il nécessaire ?

Publié le par Jean-Jacques

Quelle définition pour le progrès ?

 

Si on ne se limite pas au progrès technique, qui est ce qui vient en premier quand on prononce le mot « progrès », cette notion est difficile à cerner, et va même jusqu'à paraître ambiguë, voire suspecte. Qu'est-ce que le progrès ? Cela se mesure t-il ? Par rapport à quoi ? Comment ?

Le mot est issu du vocabulaire militaire : progresser, c'est marcher en avant pour une troupe, c'est avancer. Il est ici associé à l'idée de gagner, de conquérir, on est dans un combat contre quelque chose. Dans cette acception initiale, progrès n'est pas synonyme d'amélioration, c'est simplement la marche en avant vers un but fixé.

La notion de progrès en tant qu'amélioration, changement positif, n'est arrivée qu'au XVIII° siècle avec les Lumières, en associant progrès technique et amélioration des conditions de vie du citoyen. Seul Rousseau a perçu à ce moment là que tout progrès est à double tranchant, en raison des conséquences positives mais aussi négatives qu'il entraîne, et a souhaité qu'on n'en fasse pas une idéologie. Il a aussi posé alors la connaissance comme facteur de progrès humain, en l'associant à la marche en avant de la raison.


Les progrès de l'activité humaine


Sans vouloir faire une liste exhaustive, on peut citer un certain nombre de domaines dans lesquels la notion de progrès a un sens évident :

  • Progrès des connaissances : mieux connaître le monde qui nous entoure et mieux nous connaître nous-mêmes de manière rationnelle,
  • Progrès technique : en s'appuyant sur le progrès des connaissances, produire des biens et des services qui contribuent à améliorer la vie humaine,
  • Progrès moral : développer et appliquer les valeurs laïques et religieuses qui doivent guider notre vie de manière individuelle et collective,
  • Progrès social : c'est un sous-ensemble du progrès moral, qui vise à diminuer les inégalités dans une démarche de respect des autres, à ne laisser personne « au bord de la route » dans cette marche en avant de l'humanité
  • Progrès politique : peut aussi être défini à partir du progrès moral, comme une meilleure façon de faire vivre collectivement des individus dans une ville, un pays, dans le monde, dans un espace de démocratie et de liberté.
  • Etc


Pris indépendamment, ces différentes formes de progrès semblent, sinon nécessaires, du moins de nature à améliorer les conditions de vie de l'humanité.


Le problème est ailleurs, et réside principalement dans deux éléments difficiles à maîtriser :

  • la vitesse respective de ces différents progrès est très différente. Le progrès des connaissances et le progrès technique ont fait un bond gigantesque au cours du dernier siècle ; par contre, le progrès « moral », par nature, avance très lentement. Certes, pendant cette période,  l'esclavage a disparu, la peine de mort a été abolie dans de nombreux pays, le bénévolat s'est considérablement développé, mais les guerres sont toujours là, la pauvreté progresse ainsi que les inégalités, la soif de pouvoir et de richesses ne se sont pas assouvies. Ce décalage qui existe entre la capacité de l'humanité à pouvoir agir sur son environnement  et sa faculté à savoir le faire de manière « sage » s'est accru et conduit à des dangers potentiels de plus en plus élevés ;
  • la nature humaine ne change pas au rythme du progrès technique. L'homme est toujours curieux de tout, quel que soit le danger, est toujours prêt à essayer ce qu'il peut essayer quel qu'en soit le risque. Sa soif de pouvoir individuel lui fait souvent oublier ses devoirs collectifs, il y a ce qu'il dit et il y a ce qu'il fait. Cela fait partie de notre héritage atavique, instinctif et animal, et le développement de notre intelligence et de notre conscience n'est pas encore en mesure de pouvoir le canaliser.


Progrès technique et progrès moral

 

Ce sujet bateau de dissertation de terminale prend aujourd'hui une acuité particulière. En effet, la pérennité de l'espèce humaine pose un problème nouveau, celui d'une société qui se dote de progrès techniques de manière accélérée, au risque de ne pouvoir en maîtriser le développement.

Les armes de destruction massive prolifèrent : elles sont le fruit de progrès techniques, la plupart du temps issus des progrès dans le domaine des connaissances fondamentales. C'est bien sûr le cas de la bombe atomique, née de l'équation d'Einstein sur l'équivalence de la matière et de l'énergie, qui lui a posé ainsi qu'à d'autres savants théoriciens d'énormes problèmes de conscience. C'est aussi la guerre chimique et bactériologique, et au-delà des armes, les craintes que font naître toutes les innovations réalisables sur la matière vivante : clonage, OGM, biotechnologies en général. On sait que tout ceci est porteur d'améliorations potentielles pour la qualité de la vie de l'humanité, mais aussi de dangers tout aussi plausibles et dévastateurs.

Qu'est-ce alors que le progrès moral dans cet environnement technique galopant ? Ce sont les comités d'éthique, les barrières et les limites que se fixent volontairement les chercheurs, les lois que les gouvernements mettent ou devraient mettre en place pour permettre le développement des innovations sans mettre le monde et l'humanité en danger.

Et on en revient à Rousseau, pour qui le progrès citoyen se fondait essentiellement sur l'éducation, base de tout le développement moral de l'individu, et, au-delà, de la société.

On peut aussi citer John Stuart Mill, qui a souhaité l'avènement de « l'Etat stationnaire » :

  • la course à la richesse n'est pas un idéal de civilisation,
  • la croissance génère surpeuplement et épuisement des ressources,
  • l'état stationnaire réalise le véritable progrès humain, au travers de l'esprit affranchi de la servitude de l'émulation économique. C'est une nouvelle vision du développement, se fondant sur « l'économie de la simplicité », la durabilité des ressources et de leur utilisation.
Ce progrès moral passe donc par la prise de conscience des citoyens, qui s'appuie elle-même sur la satisfaction de leurs besoins fondamentaux générant moins d'égoïsme, et par leur éducation sur ces questions dès leur plus jeune âge.


En conclusion


La question objet du débat n'est vraisemblablement pas pertinente : il ne s'agit pas de savoir si le progrès dans un domaine quelconque est nécessaire ou pas, il s'agit de savoir quoi faire pour pouvoir contrôler et équilibrer cette marche en avant qui est inéluctable.

La société stationnaire de Mill reste une utopie, mais peut être conservée comme un but à atteindre, comme une référence, mais nous serons toujours « en route » quoi qu'il arrive, car une société où rien ne bouge est simplement une société qui meurt d'une autre façon.

Publié dans Archives 2008-2009

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